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Déploiement de la DSN : qu’a-t-on appris des échecs du RSI et de Louvois ?

22 février 2017 par Xavier Theoleyre - Lecture 5 min.
DSN

La DSN révolutionne la gestion des déclarations sociales et constituera une base de données précieuse pour les services de l’État et ceux qui sauront les valoriser intelligemment. Cependant, son déploiement est aussi chaotique que ceux du RSI et du système de paie Louvois.

LE RSI ET LOUVOIS, LES AVATARS MALHEUREUX DES PROJETS SOCIAUX DE L’ÉTAT

Souvenez-vous, la mise en place du RSI devait simplifier et clarifier l’assurance sociale (santé, retraite) des indépendants en confiant la collecte des charges à l’Urssaf. En plus de la simplification pour les assurés, il devait aussi donner les moyens à l’administration de suivre efficacement chacun des assurés. Cette réforme organise aussi la fusion des différents organismes pour en rationaliser la gestion. Ils sont actuellement 18 et devrait passer à 13 en 2019.

Malheureusement, il en a résulté un système à la gestion opaque et mal organisée. Certains professionnels ont été saisis pour des charges réclamées abusivement au risque de les pousser à la faillite. Il est quasi impossible d’obtenir des informations par téléphone. Les dossiers sont perdus et les indemnisations sont versées de manière aléatoire.

Est-ce que la DSN va suivre le même chemin ? Le GIP-MDS qui gère le site net-entreprises.fr, a fourni un travail considérable d’information aux entreprises, éditeurs et organismes sociaux. Cependant, ces derniers ne se sont pas approprié  ces problématiques et ne se sont attaqué que très tard au sujet. Par manque de temps et de moyens, éditeurs de logiciels de paye et caisses doivent adapter des infrastructures techniques et des programmes informatiques vieillissants. La DSN transmet donc un flux unique de données riches à une myriade d’acteurs qui continuent à fonctionner comme du temps des DUCS et DADS en rajoutant simplement une couche de traduction de la DSN. La légèreté des solutions trouvées et le manque de coordination nous rappelle le développement de Louvois, le système de paie de l’armée française.

La Cour des Comptes qualifie le logiciel Louvois en termes peu élogieux : dysfonctionnements aigus, manque de professionnalisme. Elle fustige des centres de décision différents, concurrents en termes d’influence et dont les priorités sont parfois contraires, la dilution des responsabilités, un cahier des charges insuffisant et un manque de suivi. Le prestataire en charge du projet en est aussi pour ses frais avec un manque de tests rigoureux et fiables, une architecture interne du calculateur défectueuse, de par sa conception peu robuste.

S’il existait une solution alternative, nous n’aurions que la gabegie financière à regretter. Mais ses erreurs de calcul et les retards dans le versement des soldes alimentent la grogne de la grande muette.

Selon un article du monde du 2 février, un autre prestataire a été sélectionné en avril 2016, pour un marché de 128 millions d’euros. Le nouveau calculateur, baptisé Source solde, « pourrait être opérationnel en janvier 2018, avec un retrait définitif de Louvois en 2021 », selon les députés.

Revenons sur l’historique des déclarations sociales qui ont engendré, par couches successives, la fameuse DSN.

DU CARBONE À LA DSN

Avant les années 1980, les déclarations se faisaient à la main ou à la machine grâce aux liasses papier carboné et envoyées aux différents destinataires. Dans les années 80 est développé un projet, le Transfert de Données Sociales comprenant 4 axes : normalisation des données, restructuration de l’imprimé déclaratif, lieu unique de dépôt pour le compte de l’ensemble des destinataires, élargissement des supports magnétiques et télématiques (dès 1983).

1989 voit les prémices de la dématérialisation des déclarations et des paiements avec le service 3614 Cotitel sur minitel. Dans les années 1990, la généralisation de la norme de transfert TDFC (transmission des données fiscales et sociales) permet un échange des données informatisées (EDI). Les PME peuvent transmettre les DUCS à chaque organisme de manière dématérialisée.

Le début des années 2000 voit la création du portail net-entreprises rassemblant les déclarations des organismes de protection sociale obligatoires et la transmission EFI (envoi de formulaire informatique). En 2008, la DADS-U devient obligatoire. Et la norme N4DS construit et structure les données en 2011.

Tous les acteurs de la protection sociale, réunis au sein du GIP-MDS (modernisation des données sociales, groupement déjà en charge de la gestion du site net-entreprises) ont commencé à travailler sur le projet de la DSN (Déclaration sociale nominative) dès 2007.

La DSN a pour but d’unifier et de simplifier le système de déclarations sociales. Elle consiste en une déclaration mensuelle unique envoyée directement par les logiciels de paye au portail net-entreprises qui se charge de les transmettre à son tour à chaque organisme.

C’est à partir de fin 2011, que la maîtrise d’ouvrage est confiée à une Mission interministérielle dédiée. Elle est chargée de déterminer le contenu et les objectifs de la DSN, de mettre en place les conditions de sa réussite en lien avec le GIP-MDS et ses membres, d’instaurer des échanges avec l’ensemble des administrations et de veiller à l’adaptation des textes de lois nécessaires.

La loi de simplification du 22 mars 2012, institue la DSN avec 2 étapes : en janvier 2013, la possibilité pour les entreprises de faire leurs déclarations Urssaf au format DSN sur la base du volontariat et la généralisation à toutes les entreprises et à tous les organismes de prestations sociales en janvier 2016. Cette dernière échéance a été repoussée à janvier 2017 pour le régime général et à avril 2017 pour les entreprises soumises au régime MSA. Les organismes de prévoyance et de mutuelles n’étant pas prêts, une tolérance permet de continuer à envoyer des DUCS jusqu’en mars…

DSN, UN ACCOUCHEMENT DOULOUREUX

Pour préparer cette terrible révolution, le GIP-MDS a mis à disposition des éditeurs de logiciel un cahier des charges techniques plusieurs mois avant la date butoir. Il a aussi communiqué fortement vers les entreprises et les experts-comptables, relai d’information vers les TPE. Malgré ces efforts, et la possibilité offerte aux entreprises de participer au pilote de la DSN Phase 3, la majorité des éditeurs, déjà aux prises avec l’adaptation de leurs solutions aux dernières lois entrées en vigueur, a sorti des mises à jour au dernier moment et n’a pas eu assez de temps pour parfaire ses tests.

De ce fait, leurs clients ont eu encore moins de temps pour réaliser les paramétrages et les services utilisateurs des éditeurs ont été saturés. Les entreprises et les experts-comptables passent encore beaucoup de temps au paramétrage et au test de leurs DSN. Cela représente des coûts élevés, de fortes tensions au sein des équipes paye et une défiance envers les éditeurs de solutions paye.

De l’autre côté de la chaîne, l’Urssaf et les organismes de retraites (dont l’Agirc et l’Arrco) font partie des bons élèves. Les organismes de prévoyance et de mutuelle, déjà engagés dans un difficile processus de fusion, n’étaient pas prêts à recevoir les DSN pour la moitié d’entre eux.

Même prêts, chacun conserve son mode de fonctionnement avec une transmission des accusés de réception aléatoires, quand ils existent, avec en corollaire de nouveaux litiges à gérer, des dates de prélèvement de charges  et des règles de paiement propres à chaque organisme.

La simplification de façade offerte par la DSN, comme celle du bulletin de paye, cache des process complexes et disparates.

Comme souvent en France, les réformes ne vont pas jusqu’au bout. Pour vraiment simplifier les déclarations sociales, il aurait aussi fallu unifier le paiement des charges. Pourquoi ne pas rendre net-entreprises garant de la bonne transmission des informations aux différents organismes et transmettre un accusé de réception unique ?

Accorder des délais que ce soit pour les déclarations fiscales ou sociales a donné de mauvaises habitudes à chacun de nous. Nous savons que les projets de l’État ne sortent jamais à la date prévue et consciemment ou non, nous comptons avec ces délais. D’où l’entre deux actuel qui s’éternise et laisse tout un chacun dans une position mouvante et inconfortable.

Avec le déploiement parallèle de la DSN et du Compte personnel d’activité, nous verrons peut être, à terme la disparition du bulletin de paye. L’objet de ce document étant de justifier de ses annuités pour la retraite et autres prestations sociales. La source d’information unique serait le CPA. Nous attendons avec impatience de savoir si le projet de prélèvement à la source sera maintenu après l’élection présidentielle. Le système social français sera-t-il mis à nouveau à genou ? Les différents acteurs tireront ils les leçons de la DSN ?

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